De quel bois

Accrochage à l’atelier – décembre 2022

Voici un résumé à grands traits et dans le désordre de ce par quoi j’ai été traversé ces trois dernières années — un chantier des grandes fouilles — et ce que cela sous-tend pour les années à venir.

Automne 2020

Nous venions collectivement d’expérimenter notre premier confinement. Mes enfants franchissaient avec brio leur fulgurante entrée dans le domaine de l’adolescence et je venais d’obtenir mon DNSEP passé en VAE à l’école supérieure d’art de Lorient. Mon mémoire intitulé Intervalle/À mesure que portait en partie sur la manière dont mon processus de création s’est faufilé. Il était question d’espace et de temps, d’impermanence, de forêts, de tissage, de mythe, d’intérêt pour les écarts, (      ), les zones d’entre-deux, les états modifiés de conscience, les intervalles, les vides féconds. Il était question aussi d’invisible, de morcellement, de résistance, de carte mentale et de politique. Ce fut un long et grand travail qui ne passait pas au peigne fin toutes les pistes d’exploration empruntées mais qui en abordait les grandes directions.1

Helene-Duclos, A mesure que

Dans ce même automne 2020 puis les saisons qui suivirent, j’ai mené plusieurs projets de création avec des publics de tous horizons. Ainsi Couleurs !, De fil en aiguille, Le voyage d’une hydrograine et La pirogue, ont été l’occasion de concevoir et de mener de nombreux ateliers de fabrication et de création partagée qui aboutirent à des formes variées : films, court-métrage d’animation, fresques, costumes, décors, affiches… Ces projets furent aussi l’occasion de m’associer à d’autres artistes.

Atelier, un mot à double sens…
et tous mes lieux de travail :

Ces ateliers ou workshops avec des publics sont nécessaires à mon activité d’artiste2 mais j’ai besoin de trouver des temps pour ma propre recherche et pour maintenir mon activité sur la durée. C’est essentiel. C’est un équilibre qui n’est pas toujours simple à trouver et qui demande beaucoup d’organisation, de persévérance, d’adaptation et de compromis. Je mesure d’autant plus, combien les heures passées dans mon atelier, ce lieu du travail et de l’expérimentation, sont précieuses. Situé loin de chez moi, je n’y suis pas autant que je souhaiterais mais j’y apprécie l’ambiance: à l’entrée d’un vaste espace de co-working dans lequel s’activent des professionnels de tous secteurs, cette mixité est très enrichissante.

Dans cet atelier, je ne fais pas qu’y peindre ou dessiner. Ce serait trop simple et trop idéal ! Non, il me faut faire de la veille professionnelle, de la comptabilité, du secrétariat, des papiers administratifs, des dossiers en réponse à des appels à projets ou à candidatures, des mises à jour de mon site, des post sur les réseaux-sociaux, de la maintenance, du ménage… Bref, toutes ces missions qui incombent aux activités d’indépendants et qui les rendent polyvalents.

Durant ces trois années, je me suis rendue régulièrement ­au musée de l’Imprimerie de Nantes pour réaliser mes gravures à l’eau-forte. J’y passe toujours des moments délicieux, absorbée dans la préparation de mes plaques de cuivres, avec les odeurs de vernis, de perchlorure de fer, d’essence F, de vinaigre, de blanc de Meudon, d’encre. Les heures ne s’égrènent pas tout à fait comme dans la vie normale. Est-ce la présence de cette majestueuse presse taille-douce, de la rotative ou de toutes ces machines typographiques qui ont traversées les siècles ? Je ne saurais dire… et puis il y a en fond sonore, ces histoires que Pascal raconte lorsqu’il est préposé à l’accueil des groupes et qu’il y mène la visite sans aucune restriction de détails et d’anecdotes.

Tous ces lieux de travail : mon atelier, les résidences, les endroits où je suis accueillie pour les ateliers avec les publics, le musée de l’imprimerie et puis le coin bureau dans le salon familial, constituent le vaste territoire de ma création.

Et puis les semaines se suivent…

C’était une bonne surprise d’être accueillie durant deux semaines du mois de juin 2021 au Lieu Unique à Nantes. Je les ai consacrées à la fabrication d’un grand manteau, entièrement brodé et cousu à la main, complètement immettable.

Cet été-là, je me suis lancée avec mon frère dans la fabrication de notre premier court-métrage d’animation en papier découpé et dessin direct sur table lumineuse. Cobalt est sorti en mars 2022. Benjamin Lazzarus a créé la bande-son. Réalisé avec des bouts de ficelle et des morceaux de temps disséminés, j’en suis fière. C’était une aventure passionnante.

…et ne se ressemblent jamais

Avant puis après la résidence, avant puis après les workshops, avant puis après les interventions, les réunions parents-profs et les aléas de la vie multi-active, j’ai préparé sept expositions personnelles ou en duo : Chamanes, à la galerie Rousseau à Tours (en duo avec mon amie sculptrice Ruta Jusionyte), Prendre les grands virages à la galerie Corcia à Paris, Aire de jeu à l’espace Mira à Nantes, Hors champs à la galerie Florence B à Noirmoutier (en duo avec le sculpteur Guillaume Couffignal), La fantastique histoire de la montagne liquide à la galerie Corcia à Paris, Tresser les lignes de vie à la galerie Rousseau à Tours et Loup y es-tu ? au centre d’art Méandres à Huelgoat, une exposition collective avec un grand espace dédié à chaque artiste.
A l’automne 2023, j’ai répondu à la commande du Conservatoire de Musique, danse et art dramatique de Nantes : la création des visuels pour le programme de saison culturelle 2023-2024. Ainsi une affiche générale puis huit visuels pour les temps forts sortent actuellement, au gré de la saison3.

 

Par quel bout

Mais tout cela mis bout à bout sans toutefois parvenir à tout à fait les joindre, tricoté à bout de souffle, et les années qui s’enchaînent à peu près au même rythme et avec des activités toujours multiples , j’ai comme on dit (faire un petit dessin d’un truc — du genre cerveau — qui brûle). Trop de travail invisible, trop de déplacements, de charge mentale, de diversité d’actions, de mauvaises conditions de travail, d’incertitudes financières et pas assez de réponses positives aux dossiers de candidatures, de soutiens dynamiques sur la durée, de temps pour souffler, récupérer et se ressourcer…

Le tri

Alors j’ai fait un grand tri dans mes travaux. J’ai bazardé des dessins, des peintures, je me suis séparée de matériel. En juin 2023, j’ai mis fin à quatre années très constructives d’implication bénévole au sein du Pôle Arts Visuels, association œuvrant à la mise en réseau des acteurs du secteur des arts visuels et au sein de laquelle j’ai participé à différents chantiers et réflexions autour de l’amélioration de la rémunération et des conditions de travail des artistes-auteurs.3

J’ai cessé de répondre à des appels à candidatures, et je me suis questionnée sur ma place en tant qu’artiste dans le monde culturel où tout doit aller trop vite, dans une grande concurrence, sans aucune protection sociale, dans l’acceptation de rémunérations faibles ou injustes, et dans une grande invisibilité et méconnaissance de nos conditions de vie/travail. Et je me suis lancée dans une formation en hypnose Ericksonienne, en neuroscience et en psychopathologie4 pour ouvrir mes antennes sur d’autres horizons.

Tout cela est assez simple à écrire mais en vérité, toute cette dernière période s’est déroulée en plus, avec la prise d’un poste à mi-temps. Car il n’y  a pas toujours d’autres choix possibles. Alors depuis un an, j’occupe un poste multitâches de chargée de communication et coordination administrative d’une association.

Les nouveaux horizons

Avec l’acquisition de ces nouveaux outils et une expérience de vie singulière, riche et intense, j’envisage de développer des ateliers art et hypnose : des ateliers de pratique artistique augmentés en quelque sorte. La pratique du dessin ou de la peinture et celle de l’hypnose se rejoignent à l’endroit où le corps fait naître les images c’est-à-dire là où le corps et l’esprit se mettent en mouvement, cherchant à produire une trace visible de ce qui est indicible. L’état d’hypnose permet de se rendre disponible au geste du dessin et de la peinture. Geste qui va permettre de construire au-delà de ses propres cadres, un événement graphique et plastique relié à l’espace-temps dans lequel l’expérience à lieu. Il y a, dans l’idée de proposer ces ateliers, l’envie de rassembler l’expérience de la création de celle du quotidien, de faire grandir nos perceptions et de créer une relation poétique persistante à ce nouvel espace émergeant.

Pour préparer et rendre compte de ces nouvelles recherches et expériences, j’ai l’intention de développer mon projet À mesure que, ce projet de cartes mentales visant à rendre visible le travail invisible, à rendre lisible les expériences bouillonnantes, à créer des liens entre les idées disparates pour raconter leur capacité à proposer une vision du monde rafraichissante.

  1. Je remercie ici en particulier Anne K. pour sa relecture toujours attentionnée.
  2. Merci à la DRAC-PDL, à la région PDL, au département Loire-Atlantique, ville de Nantes pour les aides accordées aux différents projets, merci aux artothèques de Nantes, Angers et Caen et au département de Loir-et-Cher pour leurs acquisitions, merci aux équipes des CATTP et du Chu de Nantes, merci à l’équipe du LU.
  3. Merci à l’équipe du Conservatoire à Rayonnement Régional
  4. A lire Pour une continuité des revenus des artistes-auteurices (pdf 186 Ko) par Jean-Jacques Barey, Bruno Charzat, Aurélien Catin, Marie Causse, Olivier Cohen, Guillaume Lanneau — téléchargeable ici
  5. Cursus de Praticien en hypnose Ericksonienne suivie à l’Arche à Paris, neuroscience (formation coordonnée par Thierry Gallopin, et un ensemble de chercheurs en neurosciences) et psychopathologie (formation coordonnée par Alain Héril).

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